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Publié par Marylis Costevec

Mardi- Gras 1918 :

on n'a pas le coeur à rire ...

Du fond de sa tranchée, un poilu se souvient des Mardi-Gras d'autrefois. Un article du "Nouvelliste du Morbihan" qui nous parle du morne quotidien de la guerre et nous raconte comment ce jour-là était fêté quand le  pays était en paix.

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Le 12 février 1918, c'était Mardi-Gras, un Mardi-Gras où personne n'avait le coeur à rire contrairement à 1914  où confettis et serpentins jonchaient les rues lorientaises. Ils étaient  lancés par les jeunes et les moins jeunes qui s'étaient déguisés et s'amusaient comme des fous en ce jour qui précède les 40 journées du carême, période où les catholiques étaient censés jeûner selon les préceptes de leur religion.

Nous avons retranscrit l'article paru dans le "nouvelliste" le 15 février 1918 :

 

"MARDI-GRAS

Dans la tranchée, la vie ce jour-ci est pareille à celle des autres jours : les guetteurs veillent aux petits postes ; les autres procèdent aux innombrables corvées ou travaux : creusement de nouvelles tranchées, construction de nouveaux abris contre les bombardements, pose de fils de fer barbelé, etc. ; quelques-uns, exténués, se reposent dans leur trou sur la terre dure recouverte parfois d’un peu de paille sale et humide …

Pourtant, c’est aujourd’hui Mardi-Gras de l’an 1918. Tout à l’heure je l’ignorais. Mon Dieu, oui, il est bien permis n’est-ce pas d’ignorer ici les jours de fête puisqu’ils coulent comme les autres vides et mornes, oubliés … Un camarade qui feuilletait par hasard un petit calendrier vient soudain de me le rappeler.

Alors, c’est Mardi-Gras !... Je regarde autour de moi. Est-ce bien vrai ? Les visages demeurent graves et tristes. Oh ! Oui, nous avons bien des masques, mais c’est contre les gaz boches, les gaz maudits et ils n’ont point l’élégance, la souplesse, le charme léger et troublant du petit « loup » noir ; ils puent l’acide, ils ne sentent point l’odeur enivrante de la poudre de riz parfumée et des essences de fleurs.

A côté de nous, il y a bien des boîtes renferment des « choses » qui se lancent, des grenades par exemple, (ce petit engin terrible, ô ironie, éveille le souvenir de cette vieille ville espagnole, sœur de Séville, où le Mardi- Gras est si en honneur) mais elles sont loin d’être aussi douces et caressantes à recevoir que les serpentins et confetti de naguère … Et il y a bien aussi des fusées éclairantes blanches, rouges et vertes … ah ! Quel beau feu d’artifice cela ferait ! Mais elles ne sortent qu’en cas d’attaque, alors, elles planent dans le ciel, sinistres, au-dessus des champs de bataille …

Arlequin et Colombine

Ah ! Ce dernier Mardi-Gras de 1914 ! Qui aurait deviné cette longue et horrible guerre si proche ? Dans le morne silence de mon gourbi, je le revois. Comme c’est vieux déjà ! On était jeunes alors ! Ces Pierrots, ces Dominos, ces Arlequins, ces Colombines allant et venant de la Place d’Armes à la place Alsace-Lorraine, chantant et gambadant comme des fous ; ces flots multicolores de confetti et serpentins ; ces cris, ces rires, cette foule compacte et bruyante … Les cafés étaient archicombles : les pâtisseries, fermées maintenant, ne pouvaient suffire en babas et en choux à la crème. Et le soir, à la clarté vacillante des lanternes vénitiennes des petites marchandes, la bataille acharnée (mais pas comme l’autre !) continuait entre jeunes Lorientais et jeunes Lorientaises … Oh ! je le sais bien, ça ne valait pas le carnaval de Paris ou de Venise. Tout de même, on s’amusait bien.

Août 1914 est venu là-dessus … Et les jeunes hommes sont partis ; Et la France a été envahie et meurtrie. Et jamais plus Mardi-Gras n’a souri ; jamais plus le fameux bonhomme de paille n’a été fêté et noyé en grande pompe …

(…)

Et je songe qu’à cette heure, comme aux tranchées, il y a beaucoup de Lorientais qui ignorent que c’est aujourd’hui le Mardi-Gras… Mais ils savent bien que c’est toujours la Guerre. Pour s’amuser en ce jour, pour chanter et se déguiser, non seulement il faudrait ne pas avoir beaucoup de cœur, mais même avoir laissé loin derrière soi la Pudeur …

Et puis la bataille de confetti est devenue inutile : l’autre suffit amplement ; hélas !

F. M. - Tranchées de … ce 12 février 1918 

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