Philomène, les touristes et les ragots ...
A l'heure où les touristes affluent Port-Louis, nous vous proposons de découvrir la vie port-louisienne en été avant 1890 sous un angle original grâce aux vers publiés par Philoména Georgeault-Jouan.
Elle vous rapporte les propos des gens du peuple sur les touristes de la haute société en vous menant dans l'atelier du peintre ou au lavoir.
Elle vous présente le cuisinier du marquis qui ne saurait fréquenter le casino pour ne pas "se réunir aux gens de rien" !
Une galerie de portraits et un florilège de médisances qui vous amuseront comme ils amusèrent la très sérieuse et romantique jeune femme qui se laisse aller ici à une fantaisie un peu inhabituelle !
*Philomène était institutrice et poète ... Elle enseignait à Locmiquélic à la fin du XIXème siècle. Sa mère et son frère habitaient Port-Louis.
Aux Baigneurs de Port-Louis
Notre charmant pays se remplit chaque été
De mille visiteurs, amis de leur santé.
Et nos désertes rues, grâce à leur air salin,
Voient fouler leurs pavés par plus d’un citadin.
Normands, Méridionaux, Anglais et Parisiens
Arrivent à l’envi chez ces bons Port-Louisiens.
Ceux-ci, rusés Bretons, tout en gobant leurs sous,
Se réservent le droit de juger en-dessous.
Monsieur Un Tel est fier, Madame X… est coquette ;
Quant au comte Machin, mon Dieu, qu’il a l’air bête !
Vous connaissez aussi Mademoiselle Chose ;
Elle doit se farder pour avoir ce teint rose.
Jeanne a juré hier soir et en plein atelier
Que cette grande Anglaise a tout un râtelier.
Je m’explique à présent ce qui la rend mordante.
Après cela poser encor pour l’élégante.
Et ce beau précepteur (ce n’est plus un mystère,
On en parle au lavoir) a les deux yeux en verre.
Même on a prétendu qu’il boiterait bien fort
Si son bottier n’était un homme si retors.
D’autres disent tout bas – mais j’ai peine à les croire –
Qu’il serait affligé d’un palais en ivoire.
Ces pauvres instructeurs : il leur faut tant causer,
Je comprends qu’à la fin la bouche peut s’user.
Mais quand on est cossu l’on ne s’en soucie guère.
Pour rebâtir quelqu’un, l’on sait mainte manière.
Ainsi la marquise L… - Oh ! C’est trop fort du coup –
Figurez-vous un peu qu’elle est en caoutchouc !
Pas toute … mais au moins un bras et une jambe.
Qui s’en serait douté ? C’est qu’elle a l’air ingambe.
Eh bien ! son mari donc : s’il ne portait perruque
Serait comme un genou très poli de la nuque.
On ne l’aurait point su, ces gens sont si discrets.
C’est de leur cuisinier que je tiens ces secrets.
Il est bien ce garçon ; faut voir comme il babille.
Je crois – n’en soufflez mot – qu’il fait l’œil à ma fille.
Il vaut mieux que son maître et a le cœur plus tendre.
Mon homme est très flatté d’y entrevoir un gendre.
Il n’est point de ces fats qui ne sortent qu’en gants
Pourtant il est instruit s’il croit aux korigants.
C’est qu’il a ses raisons : un soir, l’année dernière,
N’en a –t-il pas vu cinq gémir sur une bière.
Vous pensez que cela dut lui faire un effet.
Ses cheveux ont blanchi pour attester le fait.
Quel luron ! S’il allait danser au casino,
Ah ! je crois qu’il faudrait de bons doigts au piano.
Mais il ne voudrait pas comme il le dit si bien,
Aller se réunir à tous ces gens de rien.
Si vous voulez le voir ne le cherchez pas là.
Baptiste (c’est son nom) est trop fin pour cela.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les cancans vont leur train en grossissant toujours,
Et nos baigneurs ravis quittent aux mauvais jours.
L’été prochain ils reviendront, s’il plaît au ciel,
Et nous leur referons un corps artificiel.
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