L'amour, c'est parfois compliqué ! ... Une histoire de Philoména Georgeault-Jouan à lire et à écouter
On ne dira jamais assez combien l'oeuvre de Philoména Georgeault-Jouan nous apporte d'informations sur la vie à Locmiquélic à la fin du XIXème siècle et sur l'univers d'une toute jeune femme de l'époque : elle n'a pas trente ans quand elle publie "Rêves, Sourires, Larmes", ce recueil de textes en vers qui nous parle de ses émotions jour après jour, un document d'histoire des femmes, des femmes du petit peuple, vous savez celles qu'on entendait si peu !
Aujourd'hui nous vous proposons d'écouter une histoire d'amour, sûrement inspirée par ses lectures des auteurs romantiques, une histoire telle une petite pièce de théâtre en vers que nos amis LES FLÂNEURS, COMPAGNONS EN POESIE nous font vivre avec brio !
Si vous aimez changer d'époque, si vous appréciez les histoires surannées, cliquez sur le lien ci-dessous et découvrez comment on peut "aimer, être aimé et.... souffrir" !
Nous vous proposons le texte après le lien pour permettre à ceux qui aiment avoir le texte sous les yeux de suivre en écoutant ; plusieurs possibilités s'offrent ainsi à vous, lire d'abord, écouter d'abord, les deux à la fois, lire et relire, écouter et réécouter, comme il vous sied !
Aimer, être aimer... et souffrir
Listen to this episode from Les Flâneurs, Compagnons en Poésie on Spotify. Philoména Georgeault-Jouan (1861-1937) : extraits du recueil "Rêves, sourires, larmes" Locm'Editions, 2019 Personnalit...
AIMER, ÊTRE AIMÉE ET… SOUFFRIR
Si tu voyais un jour prier sur mon tombeau
Un jeune homme éploré, des mortels le plus beau :
Ce serait lui…Lui ! qu’en secret mon cœur adore
Dis-lui qu’en expirant je le nommais encore !
J’ai là dans ce tiroir une correspondance :
C’est le trop plein du cœur d’une intime d’enfance.
Depuis de bien longs jours nous étions séparées
Mais j’y pensais souvent ; et pendant les soirées
D’hiver, quand on se plaît à revoir le passé,
Je parlais de Léda dans mon groupe pressé.
Or un jour que j’étais d’assez méchante humeur
Je vis venir à moi Thomas le vieux facteur.
Ma fine, me dit-il, vous paraissez bouder,
Prenez ce billet doux il va vous dérider
J’ignore ce que c’est car je ne suis pas fin,
Mais je crois cet écrit dicté par le chagrin
Voyez comme ces mots se courbent tristement,
La main du désespoir les trace assurément ;
Mais, excuse… pardon… cela ne me fait rien,
S’il y a des douleurs vous le verrez trop bien
Les phrases du facteur me faisaient réfléchir,
On sait qu’il s’y connaît, je n’osais plus ouvrir
Enfin, très bravement de mon peigne à cheveux
Je perçai l’enveloppe et la fendis en deux.
La lettre commençait :
P*, ce dix-neuf janvier
Chère amie, ainsi que tes doigts à ce papier
Que tu tiens, ont fait une large déchirure,
Ainsi mon pauvre cœur a reçu sa blessure
Il s’est offert lui-même, orgueilleux, ignorant,
Le plaisir de servir de cible au dieu tyran.
J’aime ! je suis aimée !... oh ! cache-toi le front ;
En te le révélant je te fais un affront,
Je le sais, ô mon Dieu, mais je souffre un martyre ;
Par commisération laisse-moi te l’écrire
Lorsque j’étais enfant je n’étais point méchante
Il doit t’en souvenir. Une histoire touchante
Nous faisaient toutes deux pleurer pendant longtemps
Des larmes de pitié ; qu’il est loin ce bon temps !
Eh bien ! je pleure encor… mais des larmes de feu,
Larmes de désespoir qui m’éloignent de Dieu !
Je pleure, malheureuse ! en menaçant le ciel
Qui dans un cœur humain laisse entrer tant de fiel
Pourtant ai-je le droit d’en accuser le sort ?...
Oh ! non, mea culpa, car seule j’ai eu tort
Qu’il aille avais-je dit, je ne veux plus le voir ;
Sa présence m’ennuie à mon plus grand devoir
Sans faillir je pourrais me relâcher un jour ;
S’il est fou, soit ! mais moi je ne sens nul amour
Pour ce pauvre insensé, venu je ne sais d’où,
Et suis fort insensible à ses longs regards doux.
Qu’ai-je besoin vraiment d’un pareil ennuyeux ?
Je ne puis faire un pas sans rencontrer ses yeux
Si je ris, il est gai, si je suis triste il pleure ;
Je garde le logis : il cerne ma demeure.
Me plaît-il, par hasard, d’aspirer l’air du soir,
Sous l’ombre du balcon je vois son profil noir.
Lasse de l’obsession je me sauve à l’église
Il m’y devance encor ; sa main nerveuse puise
Dans l’eau sainte, et vers moi s’avançant galamment,
M’offre un doigt que j’ai soin d’effleurer seulement.
Mais qu’il s’en aille donc et parte pour toujours
Puisse-t-il rencontrer plus faciles amours.
Il partit, devinant à la fin mon mépris,
Et je reçus ces mots de ce jeune homme épris :
« Adieu ! soyez heureuse, ô angélique femme !
Je vous quitte de corps mais vous gardez mon âme.
Avant de m’éloigner permettez qu’à genoux
J’ose baiser le sol où votre pied si doux
S’est posé bien souvent. Mais encore une fois,
Adieu !... Je vous gênais ; et pourtant dans six mois
Je reviendrai vers vous, j’en ai le ferme espoir,
Si je vis jusque là ; donc, Madame, au revoir.
On ne meurt point d’amour, Musset nous le dit bien,
Je le chantais jadis sans y comprendre rien.
- Vous si bonne !... pour moi que vous êtes cruelle ;
Vous êtes vertueuse presque autant que belle.
Que je vous aime ainsi détournant vos beaux yeux
De l’indigne étranger qui ose être amoureux.
Cependant laissez-moi le dire seulement :
Quand je vous remarquai je croyais franchement
Que vous étiez encor libre de votre main ;
J’appris que je m’étais trompé, le lendemain ;
Je voulus oublier, hélas ! c’était trop tard,
J’avais perdu mon cœur dès un premier regard.
- Au revoir ! Dans six mois à cette même date
Je serai près de vous : mon âme se dilate
A ce seul souvenir, oh ! je vous reverrai !...
Pour mon malheur, Léda, toujours je t’aimerai ;
(Tu le vois, il savait comment je me nommais)
Toi, quand m’aimeras-tu ? jamais ! jamais ! jamais ! »
Aussitôt je brûlai cette épître si tendre,
Mais – dois-je l’avouer ? – j’en conservai la cendre.
Certes je n’aimais point, je puis te le jurer ;
Ah ! cette indifférence ne devait pas durer !
Les six mois écoulés il revint, c’était lui !
Je sentis sa présence comme un rayon luit.
Malgré moi mon regard fut rencontrer le sien ;
La foule m’entourait : je ne voyais plus rien
Que lui seul ! si plutôt, j’aperçus une femme
Qui lui donnait le bras… il m’oubliait, l’infâme !
Ah ! que je souffris en cet instant fatal !
Je ne puis définir ; mais j’ai gardé ce mal.
Mon cœur se contracta, je respirais à peine,
Et ses yeux me suivaient pour augmenter ma peine.
Mes doigts crispés tordaient et déchiraient mon gant :
Il me fallait sourire aux amis cependant.
Rentrons, dis-je, il est temps, ce bruit joyeux m’agace
Le vent fraîchit, partons… à l’air mon front se glace.
Hélas ! je me disais que montrer mon chagrin
Eut été lâcheté ; je me mis en chemin
Pour ma demeure : ô ciel ! que longue était la route
Que je suivis ce jour ; mais j’ignorais sans doute
Qu’au logis ma douleur devait s’accroître encor ;
Partout je revoyais la femme aux cheveux d’or
Que j’avais aperçue à son bras dans la fête,
Et pour ne plus la voir je me cachais la tête ;
Mais son portrait était gravé dans ma prunelle :
Je portais ma rivale… oh ! Dieu, qu’elle était belle !...
Cette beauté mettait en moi de la folie
Et je l’aurais maudite d’être si jolie !
Je n’avais rien de Lui, si, mais si peu de chose,
Je gardais une fleur, un petit œillet rose…
Qui rose était resté conservant tous ses charmes,
Je le pris, et, sur lui laissant couler mes larmes,
Je lui parlai longtemps… d’abord il s’irisa,
Puis sous mes pleurs brûlants il se carbonisa.
Je fus dans cet état trois jours : quelle démence !
Dieu te garde à jamais de pareille souffrance.
A ce grand désespoir succéda la tristesse
Quand me vint cet écrit :
« Charmante enchanteresse,
Dimanche, vous voyant ma sœur m’a dit tout bas :
Que cette femme est belle et j’ai pressé le pas !
Au revoir ! ma Léda, dans six mois, jour pour jour,
Vous verrez à vos pieds le mendiant d’amour !
Cela pour retrouver cette froideur étrange :
Vous seriez un démon si vous n’étiez un ange… »
- Sa sœur ! c’était sa sœur ! j’aurais dû le savoir.
On n’aime qu’une fois : il aimait … sans espoir
Il est vrai ; mais je dois plaindre au moins son malheur ;
Nul autre désormais ne conquerra mon cœur.
Je m’en remets à toi, ma chère, sans détour,
Dis-moi qu’en penses-tu ? Crois-tu que c’est l’amour
Qui me transperce l’âme sans espoir, sans trêves,
Et me poursuit partout, même au sein de mes rêves ?...
Non !!! … ce n’est point l’amour : cela ne peut pas être,
Dieu si juste et si bon n’aurait point laissé naître
Ce sentiment impur dans mon cœur si loyal :
Je n’ai rien fait au ciel pour mériter ce mal !
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Eh bien ! si j’aime, soit !... en quoi suis-je blâmable ?
L’aimable rossignol serait-il donc coupable
De chanter en son bois un duo de tendresse ?
Sans son consentement la Nature en ivresse
Lui donne voix et cœur : l’oiseau aime et chante !
L’homme rêveur s’arrête à cette voix touchante.
Oh ! toi qui me connais pourras-tu réprimer
Ces sentiments sans nom que j’ose t’exprimer ?
Rappelle-toi ceci : je ne peux succomber,
Ma conscience est là ; je puis mourir, tomber…
Jamais ! car sur un pic j’ai placé mon honneur,
Pour l’atteindre il faudrait me transpercer le cœur.
- Au revoir, chère amie ; en apprenant ma mort
Sous peu, réjouis-toi. L’infortuné s’endort
Sans regrets ; moi j’invoque l’éternel sommeil :
Nous nous retrouverons au jour du grand réveil. »
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J’ai voilé cette lettre avec un crêpe noir,
Pour la morte d’amour je prierai chaque soir.